Chimie Verte : la catalyse au service d’une production industrielle plus soutenable

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10 min readDec 6, 2022

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Aujourd’hui, la chimie est une science qui a un fort impact environnemental. Le chiffre d’affaires de l’industrie chimique s’élève à 68 milliards d’euros en 2020. Cette discipline est en effet très importante pour de nombreux secteurs économiques :qu’il s’agisse des services de R&D, l’industrie automobile et aéronautique, l’agriculture, la santé…

L’industrie chimique est elle-même sectorisée sous différents noms : la chimie fine, la chimie lourde, la chimie pharmaceutique… Pour chacun de ces domaines, la gestion des déchets est une problématique importante à prendre en compte. En effet, les déchets sont pour la plupart non recyclables et toxiques.

L’histoire d’une chimie plus responsable

La manipulation de produits chimiques peut s’avérer très dangereuse pour notre santé. Elle est à l’origine de nombreuses catastrophes industrielles et sanitaires comme celle de Bhopal en 1984, ou celle de Seveso en 1976. Ces catastrophes industrielles, dues à des erreurs de manipulation et à une mauvaise gestion des produits, ont mené à plusieurs milliers de morts humaines et animales. Aujourd’hui, les sites de production classés à risques très élevés sont dénommés “SEVESO”, et sont soumis à une réglementation très stricte et encadrée.

Ainsi, une mauvaise gestion des produits chimiques représente un danger important pour l’environnement et la santé humaine. Ces catastrophes ont poussé le secteur de la chimie à prendre des mesures pour renforcer la sécurité des personnes et faire prendre conscience du risque et des dangers des produits chimiques. Le règlement européen REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques) est entré en vigueur le 1er Juin 2007. L’intérêt de ce règlement est d’améliorer la gestion des produits chimiques en informant les utilisateurs de la nature intrinsèque de chacun des produits chimiques (dangers) et des risques pris en cas d’usage. Il s’applique dans 30 pays (européens et ceux présents dans l’espace économique européen). La responsabilité de l’évaluation et de la gestion des risques des substances chimiques est directement confiée aux entreprises.

Les différentes catastrophes industrielles et naturelles sont à l’origine de la prise de conscience de l’impact de l’industrie chimique sur la santé et l’environnement. Elles ont également orienté les recherches vers le développement d’une chimie plus éco-responsable et plus sûre. En 1991 , Paul Anastas définit pour la première fois le concept de chimie verte à travers sa publication Alternative Synthetic Reaction Program.

« La Chimie Verte a pour but de concevoir et de développer des produits et des procédés chimiques permettant de réduire ou d’éliminer l’utilisation et la synthèse de substances dangereuses. »

Sept ans plus tard, Paul Anastas et John C. Warner deviennent les pères de la chimie verte suite à la publication de leur revue Green Chemistry : Theory and Practice. On retrouve dans leur publication les 12 principes de la Chimie Verte, aujourd’hui considérés comme la charte de bonne conduite pour les scientifiques. Ces principes prennent en compte différents aspects : la réduction des déchets, la réduction des coûts énergétiques, l’économie d’atome ainsi que l’utilisation de produits et solvants moins dangereux et moins polluants.

Les 12 principes de la Chimie Verte, illustration réalisée par Demeta

Cette prise de conscience s’est étendue au sein de la recherche française. En 2006, le CNRS lance son programme interdisciplinaire de Chimie pour le Développement Durable. Il s’engage à financer plusieurs laboratoires français afin de favoriser l’innovation durable et responsable. Ce changement de paradigme a créé une véritable rupture entre la chimie du XIXème siècle et celle du XXème siècle. L’enseignement de la chimie a vu un réel changement, notamment sur les conditions de travail en laboratoire.

Principe 9 de la Chimie Verte : la catalyse

La catalyse est un principe de la chimie verte qui a pour objectif d’économiser le nombre d’atomes engagés dans une réaction et l’énergie. Les catalyseurs permettent d’activer plus rapidement une réaction chimique et, pour certains, de réduire la quantité de déchets et produits secondaires ( produits non désirés). Le cas d’application le plus connu est le pot catalytique des véhicules automobiles qui permet de transformer les gaz toxiques en des polluants moins dangereux pour la santé.

Le terme de catalyse a vu le jour en 1935 grâce à Berzelius. C’est le premier scientifique à définir les effets chimiques engendrés par un catalyseur. Catalyse vient du grec katalusis qui signifie “accélération (cata) d’une coupure (-lyse)”, à savoir que les réactions, généralement, commencent par la rupture d’une liaison chimique.

La catalyse est quasi omniprésente dans les processus industriels de génie chimique. La catalyse est également très présente dans notre organisme, notamment pour les processus de métabolisme et de catabolisme. Dans la littérature, on peut retrouver de nombreux catalyseurs de natures différentes avec des propriétés spécifiques.

À quoi sert la catalyse ?

Tout d’abord, pour qu’une réaction puisse se réaliser, elle doit être spontanée, c’est-à-dire thermodynamiquement favorable. Dans le cas contraire, la réaction ne pourra pas se faire. Par la suite, il est important de s’intéresser à la cinétique chimique de la réaction : cette propriété permet de caractériser la vitesse de la réaction. L’ajout d’un catalyseur dans une solution permet d’abaisser la barrière d’activation d’une réaction chimique et donc de modifier la vitesse de réaction. La barrière d’activation correspond à l’apport d’énergie suffisante pour que la réaction ait lieu. Très souvent, on utilise un catalyseur pour des réactions dites très lentes, voire inobservables car la barrière énergétique est trop grande à franchir. Dès lors, il est courant d’observer qu’une toute petite quantité de matière suffit pour activer la réaction. Généralement, le catalyseur n’est pas consommé , ni modifié en fin de réaction.

Diagramme d’énergie d’une réaction avec ou sans catalyse. Ea : Énergie d’activation.

En résumé, la catalyse permet de réduire les coûts d’énergie d’une réaction. Elle permet également d’augmenter la sélectivité tout en gardant un rendement élevé. Les catalyseurs peuvent avoir des propriétés sélectives selon la base sur laquelle seront déposés les réactifs, dite le substrat d’intérêt. La sélectivité dépend de la forme du site actif, de leur surface et de l’environnement. La sélectivité est la prépondérance d’un produit par rapport à d’autres issues d’un même mécanisme. Ainsi, une réaction chimique peut produire plusieurs produits. Le défi de l’organocatalyse est de pouvoir synthétiser une molécule spécifique sans ses produits secondaires grâce à la fabrication de catalyseurs ayant un grand pouvoir de sélection.

Le domaine de la catalyse se répartit sous 3 spécialités :

  • La catalyse homogène : un catalyseur est dit « homogène » lorsque la solution contenant les réactifs et le solvant forme une seule phase avec le catalyseur. Généralement, pour ce type de catalyse, les phases sont gazeuses ou liquides. La catalyse homogène a connu une grande envolée dans les domaines de l’agrochimie, de la chimie fine et de la pharmacie ;
  • La catalyse hétérogène : un catalyseur est dit “ hétérogène s’il forme plusieurs phases distinctes avec les réactifs. Le cas qu’on retrouve la plupart du temps est un mélange de réactifs en phases liquide ou gazeuse avec un catalyseur solide. Les phénomènes physiques et chimiques impliqués à la surface d’un catalyseur hétérogène se différencient de ceux observés pour les catalyseurs homogènes. Les catalyseurs hétérogènes prennent en compte les phénomènes de diffusion dans la matière, d’adsorption et désorption à la surface etc. Cette catalyse est présente dans les domaines stratégiques de la chimie verte, notamment dans la dépollution (pot catalytique, traitement de l’eau et de l’air etc.), l’énergie ( ex : la raffinerie) et la chimie des grands intermédiaires ;
  • La catalyse enzymatique : les enzymes sont des protéines dont la masse molaire est supérieure à 10 000. Elles sont constituées de chaînes d’acide aminés. Elles ont un grand pouvoir sélectif et peuvent être très efficaces en très faible quantité. Leurs activités peuvent être régulées par d’autres organismes chimiques. Les catalyseurs enzymatiques sont très présents dans les l’industrie des détergents, de l’amidon, de l’agroalimentaire, de la chimie fine ou encore de la santé. L’inconvénient des enzymes est leur coût de fabrication. De plus, leurs propriétés bio-organiques ne leur permettent pas de catalyser des réactions à hautes températures.

Procédés industriels : catalyse homogène ou hétérogène ?

Comme expliqué précédemment, les industriels sont confrontés à des défis économiques et environnementaux majeurs. Ces enjeux ont poussé à la recherche de nouveaux catalyseurs répondant à ces différentes problématiques. Le choix entre la catalyse homogène et hétérogène n’est pourtant pas si simple.

La catalyse homogène présente en effet l’avantage essentiel de combiner des activités et sélectivités élevées et des conditions opératoires douces. Cependant, son utilisation pour des procédés à grande échelle reste limitée. La séparation de la phase réactionnelle est l’inconvénient majeur de la catalyse homogène. En effet, elle nécessite d’intégrer dans le processus industriel des étapes de purification des produits, qui induit l’ajout de plusieurs volumes de solvant à évacuer et traiter en fin de processus. De plus, cette difficulté à séparer les catalyseurs du mélange réactionnel empêche de réutiliser et de recycler le matériel catalytique. Au-delà du problème environnemental, ceci peut poser des problèmes économiques, notamment pour les métaux nobles qui possèdent de très grandes propriétés catalytiques (Palladium, Ruthénium, Or etc.) Ces aspects diminuent les bénéfices de la catalyse homogène et ont des impacts négatifs sur l’environnement.

Ces contraintes expliquent pourquoi de nombreuses recherches se sont portées sur le remplacement des catalyseurs homogènes par des catalyseurs solides. Leurs propriétés non toxiques et respectueuses de l’environnement, ont permis de réduire les problèmes d’élimination. La catalyse hétérogène, en comparaison à la catalyse homogène traditionnelle, apporte les bénéfices suivants : séparation et récupération aisée du matériel catalytique, réutilisation et régénération des catalyseurs. En effet, leur caractère solide permet de les dissocier plus facilement des phases liquides et gazeuses, ainsi la récupération du catalyseur nécessite moins d’étapes et moins de solvant. De plus, les catalyseurs hétérogènes présentent pour certains une très bonne durée de vie : il est notamment possible de les réutiliser dans certains processus industriels.

Pour ces différentes raisons, pour les traitements ou productions de grande ampleur, la catalyse hétérogène est favorisée. En revanche, pour les les productions en quantité limitée de composés à haute valeur ajoutée comme par exemple dans l’industrie pharmaceutique, la catalyse homogène est préférentiellement utilisée. En effet, dans la pharmaceutique, les catalyseurs sont majoritairement non réutilisés en fin de réaction, puisque le secteur de la santé doit suivre des règles strictes de production. Un catalyseur ne possédant pas une activité constante au cours du temps engendre de nombreux problèmes sur la suite du processus de production et donc une grande perte de produit.

Les dernières découvertes

De nombreuses recherches sont dirigées sur la fabrication de catalyseurs combinant les propriétés des différentes variétés de catalyses. Des recherches importantes sur l’hétérogénéisation des phases actives des catalyseurs ont été réalisées à partir de la catalyse enzymatique, acide ou encore de coordination. Parallèlement, de nombreux travaux de recherches tentent de pallier les différentes contraintes auxquelles les catalyseurs hétérogènes sont confrontés : désactivation, baisse d’activité, attrition etc. Ces recherches s’appuient sur plusieurs domaines de connaissances : chimie organique, chimie des surfaces, chimie de coordination, l’électrochimie, les nanosciences etc.

En 2021, le prix Nobel de Chimie a été décerné aux scientifiques Benjamin List et David MacMillan pour la fabrication d’un catalyseur asymétrique, une avancée significative dans le domaine de l’organo-catalyse. En effet, l’enjeux de ces nouveaux catalyseurs est de pouvoir sélectivement produire la molécule d’intérêt. Une synthèse organique peut mener à la production d’énantiomères : de molécules miroirs. Elles sont symétriques entre elles. Elles ne peuvent être superposées l’une sur l’autre, comme notre main gauche avec notre main droite. Cette chiralité est très importante dans le domaine de la chimie organique. En effet, deux molécules énantiomères ne possèdent pas les mêmes propriétés chimiques et physiques. Ainsi, ce nouveau type de catalyseur asymétrique permettra aux domaines de la parfumerie, de la pharmacie ou encore celui des arômes de synthétiser de façon sélective les molécules d’intérêt dans des conditions dites plus douces tout en faisant une économie d’atome et d’énergie.

Cette découverte permet aux industries de synthèses chimiques de s’inscrire dans une chimie plus verte et responsable. La catalyse continue d’innover tout en gardant toujours l’objectif de rendre l’industrie chimique plus écologiquement responsable. Pour cela, elle innove sur différents points : les concepts de fabrications, les technologies pour la fabrication de nouveau catalyseur, sur ses connaissances mais également dans ses applications.

La chimie verte est aujourd’hui le moyen le plus développé pour permettre de relever les défis environnementaux et sociaux. Sachant la croissance démographique que connaît la planète, nous sommes paradoxalement amenés à produire plus, tout en minimisant notre impact environnemental et donc, moins consommer. Il faudra alors subvenir aux besoins des vies humaines et animales en consommant moins, ou plus efficacement : réduction des exploitations des matières premières, réduction des déchets et des coûts énergétiques. Le concept de la chimie verte innove dans une optique de relever les défis majeurs que sont la production de la nourriture (agriculture, élevage), la production de l’énergie, la protection de l’environnement et bien d’autres encore, dans une planète à 9 milliards d’habitants d’ici moins de 30 ans.

Quitterie de Saint Germain

Les propos tenus n’engagent que leurs auteurs et non le MTI Review.

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